« Nous
assistons aujourd’hui à la fin du capitalisme. » Cette
annonce surprend évidemment : alors que l’on nous enseigne que le modèle
capitaliste serait le seul viable depuis l’échec du communisme, certains
économistes cherchent à démontrer qu’une troisième voie existe. Ne serait-ce
donc pas « la fin de l’histoire » décrite par Fukuyama* ?
Selon
Jeremy Rifkin, le monde capitaliste serait en train de basculer vers une
économie de partage. Elle serait fondée sur l’intérêt de la communauté plutôt
que sur la seule satisfaction des désirs individuels. Internet nous a fait
entrer dans une troisième révolution industrielle qui rendrait ce renversement
possible.
Une utopie me direz-vous ? Pour
Jeremy Rifkin, c’est déjà une réalité.
·
Economiste américain, Rifkin est président de la Foundation on
Economic Trends qui
réalise
des travaux d’anticipation sur des questions économiques, sociales et
environnementales depuis la fin des années 70. Il a notamment publié La Troisième Révolution Industrielle en 2012
et La Nouvelle Société du coût marginal
zéro cette année. Il explique dans ce livre les fondements de l’économie du partage. Pour mieux saisir les
enjeux de sa thèse, il est nécessaire de comprendre ce titre.
Premièrement, d’où vient cette nouvelle société ?
Rifkin estime que de nombreux jeunes diplômés souhaiteraient devenir des
entrepreneurs sociaux. Leurs entreprises se baseraient sur deux logiques,
d’abord la rentabilité à tout prix qui régie aujourd’hui notre société mais
aussi une philosophie à but non lucratif plus étonnante. Il parle donc de « communauté collaborative », c’est-à-dire une économie dans
laquelle l’usage l’emporte sur la propriété et où les échanges se font directement
entre les usagers.
·
Ensuite comment
réaliser ce coût marginal zéro ? Rappelons d’abord que le coût
marginal
correspond au coût de production d’un bien ou service supplémentaire diminué
des coûts fixes. Par exemple, pour produire une table de plus, une entreprise
devra financer les pieds et la planche (coûts moyens) mais sans repayer les
coûts relatifs aux locaux ou à l’électricité (coûts fixes). Notre économiste s’enthousiasme du fait
qu’il peut réduire ce coût marginal jusqu’à atteindre presque « zéro »
grâce à la révolution technologique.
Pour
rendre cette idée concrète, nous pouvons prendre un exemple que nous
connaissons tous : youtube. Force est de constater que chacun d’entre nous
peut poster des vidéos gratuitement et les faire partager à d’autres grâce à
internet. Les Moocs illustrent également ce phénomène. Depuis 2012, six
millions d’étudiants suivent gratuitement des cours en ligne issus des
meilleures universités du monde alors que d’autres déboursent des milliers de
dollars. A l’évidence, notre société est
en train de changer.
·
D’autre part, Rikfin s’appuie également sur deux principes
révolutionnaires :
l’internet
des objets et celui de l’énergie. En 2030, environ cent trillions de capteur
connecteront tout. Si bien qu’un gigantesque réseau intelligent reliera
l’ensemble des machines, domiciles et véhicules, c’est l’internet des objets.
De
ce fait, chacun pourra accéder à ce réseau à
travers tous les continents, soit pour acheter de l’énergie, soit pour revendre
les surplus qu’on aura nous même produit grâce aux panneaux solaires, éoliennes
et futures innovations. A l’aune de cette révolution, nous échangerons de
l’énergie aussi aisément que nous le faisons actuellement pour l’information,
il s’agit de l’internet de l’énergie.
·
Cependant, la condition sine qua non pour que l’économie de
partage fonctionne est
que
personne ne privatise le web. Il faut que l’organisation collective veille à
laisser un accès libre à l’internet des objets, sinon tout ce système
s’effondre.
·
La question du développement durable apparait en filigrane. Tout
d’abord, produire
à
un coût marginal proche de zéro signifie faire usage de très peu de ressources.
De plus, le partage dans une économie circulaire de vêtements ou de voitures
par exemple diminue notre empreinte écologique*. Rifkin avance que pour chaque
voiture partagée, 15 seraient éliminées. Donc en administrant efficacement le
partage de véhicule, nous pourrions diminuer de 80 % leur nombre. En outre, sa
foi inébranlable dans le progrès technique le conduit à considérer que l’usage
d’une énergie non polluante, gratuite et renouvelable sera possible.
A
l’évidence, les thèses radicales de Rifkin ont souvent été critiquées. Le
professeur Jean Gadrey émet deux principales objections. La première soulève un
point non négligeable, il ne faut pas
compter sur des miracles technologiques incertains. Les coûts marginaux
zéro reposent sur des nouvelles technologies intelligentes qui nécessitent
d’être améliorées. Ensuite, elles bénéficient d’énergies renouvelables qu’il
faut trouver.
De
surcroît, si le progrès technique aboutit comme l’espère Rifkin, les machines et robots intelligents vont
remplacer le travail humain. Notre économiste répond en avançant qu’à court
terme, des millions d’ingénieurs, architectes, ouvriers seront embauchées car
l’économie collaborative nécessite de nombreuses installations. Mais après trente ans, tous les objets du quotidien seront automatisés. Il faudra donc réinventer le travail. In
fine, c’est ce que Keynes appelait le chômage technologique, celui causé par le
progrès technique qui réduit la demande de main d’œuvre alors que la découverte
d’emploi s’avère un peu plus lente.
« Mais il n’y a là qu’un état temporaire de réadaptation. Tout ceci signifie, en fin de compte, que l’humanité est en train de résoudre le problème économique. »
Fukuyama :
Economiste
et philosophe américain, il développe ses thèses dans un livre controversé
publié en 1992 : La Fin de l'Histoire et le
dernier homme. Il défend
le principe que l'histoire humaine
peut être envisagée comme un combat entre des idéologies. Elle touche donc à sa fin avec le consensus de la démocratie libérale qui semble suivre la guerre froide. C’est donc bien la victoire
du capitalisme !
Empreinte écologie :
Surface
nécessaire pour produire ce qui est consommé par une population et pour absorber
les gaz à effet de serre engendrés.
Nina J.
Nina J.