Ton actu

Ton actu

dimanche 14 décembre 2014

L'enfer des réfugiés

« L’enfer c’est l’attente sans espoir » affirmait le romancier André Giroux il y a un demi-siècle. Mais l’enfer ne résiderait-il pas plutôt en un espoir inatteignable : l’aspiration d’une vie meilleure loin de chez soi ? Aujourd’hui, on estime qu’il existe autour de 70 millions de personnes « victimes de déplacement forcé » selon les organisations de l’ONU. Mais ce problème primordial reste complexe et controversé, c’est pourquoi nous vous proposons une certaine approche sur cet enjeu de société.

Tout d’abord, quels sont les critères qui définissent un réfugié ?

Selon la convention de Genève de 1951, est considéré comme un réfugié tout individu « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont il a la nationalité ». Il existe ainsi 16 millions de réfugiés stricto sensu, c’est-à dire ayant traversé une frontière, 30 millions de réfugiés internes, déplacés au sein de leur propre pays, et 26 millions de réfugiés climatiques. In fine, nous pouvons relever quatre principales raisons qui expliquent ces déplacements : les guerres, les régimes autoritaires, les famines et les catastrophes naturelles.

Comment les réfugiés sont-ils accueillis à l’étranger ?

L’objectif officiel de « contrôle des flux migratoires » cache une réalité plus sombre. Il existe en effet 450 camps de réfugiés reconnus dans le monde. En outre, les camps de déplacés internes sont au nombre d’un millier. Les politiques migratoires mettent à l’écart les populations jugées indésirables. Tels des criminels, les réfugiés sont exclus de la société. De la même manière que les prisons, ces lieux d’expulsions spécialisés réduisent les possibilités d’intégration. Ahmed Ali, un Erythréen patientant à Calais explique : « Nous ne sommes pas des criminels. Nous n’avons rien fait sauf quitter notre pays. Quand le soleil se couche, les ténèbres envahissent tout : mon pays vit dans les ténèbres en permanence. » Par ailleurs, à la fermeture d’un camp, que deviennent ces réfugiés ? Par exemple ceux de la place Sainte-Anne à Port-au-Prince, expulsés de force quand les autorités ont décidé de rénover le centre-ville ?

A savoir : Le plus grand camp au monde se trouve au Kenya à Dadaab.
Il accueille plus de 450 000 réfugiés, ce qui correspond à la taille d’une ville comme Lyon.

Non seulement la légitimité de ces lieux d’enfermement est contestable, mais les effets dissuasifs escomptés se révèlent illusoires. Ce ne sont pas ces politiques qui déterminent la décision des migrants, mais leur situation d’origine.  Par ailleurs au fil du temps, les camps deviennent de véritables villes fermées sur elles-mêmes. La vie s’y organise, comme en Palestine où les camps existent depuis plus de soixante ans. « L'homme est une ordure, il s'habitue à tout » pour citer l’écrivain russe Dostoïevski.  
Alors que la notion de réfugié établit un état d’urgence porté par l’espoir d’un avenir meilleur, une vie passée dans un camp révèle davantage la candeur de cette illusion.

[ L’histoire de Robiel ]

Intéressons-nous à l’histoire de Robiel Habtom*, un jeune homme de 25 ans ayant fuit la dictature qui règne en Erythrée. Orphelin de père, sans ressources mais éduqué, il tente d’échapper à la conscription obligatoire qui le ferait rentrer définitivement dans l’armée. Pour cela, il fuit son pays et essaie de rejoindre sa famille dans un camp au Soudan. Il y parvient, après une première tentative l’ayant conduit à deux ans de prison. Là-bas, c’est le coup de foudre. La tête pleine de rêves, Robiel décide de se rendre en Italie pour commencer ses études et fonder une famille. Il ne se doute pas du triste sort que lui réserve l’Histoire.

Le jeune homme paie des sommes considérables pour un périple partagé avec 200 autres migrants. Ils sont serrés à l’intérieur de camions puis de bateaux, sans nourriture et possibilité de dormir. Mais ce n’est rien comparé à la Lybie où de nouveau emprisonné, il a été soumis à la torture. Une fois arrivé en Italie, il est recueilli chez sa tante qui le décrit comme « un jeune homme de 25 ans tout ce qu’il y a de plus normal. Plein de rêves. ». Malheureusement, il ne trouve pas de travail et se rend dans ce que l’on appelle la jungle de Calais pour rejoindre la Grande-Bretagne*. Un soir, il se jette dans la mer glacée pour atteindre le ferry qui lui permettrait de réaliser son rêve. Mais au bout de vingt minutes de lutte silencieuse, Robiel et ses espoirs sont emportés au fond des flots.

Que retenir de cet exemple ?
« Seule la célébrité peut éventuellement fournir la réponse à l’éternelle complainte des réfugiés » Hannah Arendt
Robiel a connu une mort tragique et absurde comme beaucoup d’autres migrants, et pourtant nous ne savons généralement rien de leur histoire. Face à eux nous ressentons la défaite, la tragédie. Celles des sociétés, celle de tant de vies humaines gâchées. Il faut oser regarder ces réfugiés droit dans les yeux, si ce n’est droit dans leurs cœurs. La pire réaction est l’indifférence. Il est important de connaitre la vérité sur ces camps et de suivre leur devenir. Presque 70 ans après la seconde guerre mondiale, de nouveaux camps entourés de barbelés se banalisent. Les internés ne sont pas seulement privés de leur liberté de mouvement mais aussi de leur dignité, de l’accès aux soins ou encore du droit de vivre avec leur famille.

Le 8 juillet 2013, le Pape François s’exprimait à Lampedusa :
« La culture du bien-être nous rend insensibles aux cris des autres,  nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais qui ne sont rien. Elles sont l’illusion de la futilité, du provisoire, qui mène à l’indifférence, plus encore, à la mondialisation de l’indifférence. »

A l’aune de cette indifférence, il faut souligner l’action de la communauté internationale. Un camp suppose la mobilisation : le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies) missionne 575 ONG dans le monde pour participer à la gestion des camps. 11 ,7 millions d’individus sont placés sous sa protection. Tout en reconnaissant que les contrôles aux frontières sont essentiels pour combattre la criminalité internationale, le HCR souligne la nécessité de réglementation afin que ces contrôles n'amènent pas au renvoi de réfugiés qui menaceraient leur liberté ou leur vie. L’UNRWA une autre agence de l’ONU, s’occupe spécifiquement de 5 millions de réfugiés palestiniens. De surcroît, la campagne « Open Access Now » a publié en octobre 2014 un livret pour faire connaitre la réalité de l’enfermement de cet « espace de liberté, sécurité et justice ». Somme toute, la question de ces protégés est avant tout un enjeu politique et humanitaire mais également un enjeu moral.
Chaque réfugié est un homme avec son histoire et l’avenir qu’il tente de se dessiner. Le silence est leur ennemi. Témoigner de leur terrible expérience leur permet de ne pas être effacés tout simplement de notre monde.
« Pour que notre monde ne compte aucun trou noir de l’Histoire, aucun endroit où les hommes disparaissent sans que l’on sache qui ils étaient, quels visages ils avaient, et quelle était leur histoire. » Laurent Gaudé* 

Pour en savoir plus : 

*Courrier International Cinquante murs à abattre n° 1253
*On estime aujourd’hui la présence de 2000 migrants « installés » dans des camps de fortune à Calais (Nord de la France). C’est 50 % de plus que l’an passé. Les migrants principalement originaires de l’Afrique subsaharienne tentent de rejoindre la Grande-Bretagne attirés par les conditions d’accueil plus favorables.

*Laurent Gaudé : écrivain français, il a obtenu le prix Goncourt des lycéens avec La Mort du Roi Tsongor en 2002. En 2004, il est lauréat du prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta. Il publie en 2006 Eldorado qui évoque Lampedusa et le sort des migrants africains.



D’où viennent les réfugiés ?


Où vont-ils ?
Afghanistan, Syrie, Somalie
à plus de la moitié des réfugiés de la planète viennent de l’un de ces trois pays

Afghanistan leader pour la 33e année consécutive : 2,6 millions de réfugiés
Syrie est en passe de doubler ce record :
2,5 millions en 2013
Somalie compte  1,1 million de réfugiés,
un chiffre stable qui relance l’espoir d’une amélioration de la situation.

10 plus grands pays de départ : 
Soudan : 650 000
Congo RDC : 500 000
Birmanie : 480 000
Irak puis Colombie : 400 000
Vietnam  puis Erythrée : 315 000
Centrafrique : 250 000
Chine : 195 000
Mali : 150 000
Reste du monde : 1,6 millions

Pakistan, Iran, Liban
à 86% des réfugiés ont atterri dans des pays dits en développement

Pakistan 1e pays-hôte numériquement :
1,6 million de réfugiés surtout afghans.
Liban 1e pays-hôte par rapport à la taille de sa population : 857 000 réfugiés
¼  habitants réfugiés, surtout des Palestiniens depuis 1948 et des Syriens depuis que la guerre civile a éclatée en 2011.

10 plus grands pays hôtes :
Jordanie : 640 000
Turquie : 610 000
Kenya : 535 000
Tchad puis Ethiopie : 430 000
Chine : 300 000
Etats-Unis : 260 000
(…) France : 230 000 
(…) All : 188 000 (…) Royaume-Uni : 125 000
Reste du monde : 1, 6 millions

Selon les estimations l’UNHCR pour 2013(Agence des Nations Unies pour les réfugiés)

Nina J.

dimanche 7 décembre 2014

La colère de Ferguson

Depuis l’annonce de la décision de ne pas inculper le policier qui avait tué Michael Brown, un jeune afro-américain, une vague d’émeutes a submergé la ville de Ferguson où a eu lieu l’homicide. Cet embrasement témoigne d’un malaise qui sévit aux Etats-Unis, déjà touché par plusieurs agitations raciales similaires.

Que s’est-il passé à Ferguson ?
Le 9 août, dans cette banlieue de Saint Louis dans le Missouri, Michael Brown un jeune noir de 18 ans a été abattu par Darren Wilson un policier blanc. Lorsqu’il est arrêté, le jeune homme est soupçonné d’avoir participé au cambriolage d’un magasin. Plusieurs versions s’opposent ensuite.  La police assure que Wilson aurait riposté à des attaques violentes du jeune homme qui, bien que non armé, aurait profité de sa carrure imposante pour impressionner l’officier et s’emparer de son arme. Des témoins déclarent pourtant qu’ils auraient vu le jeune homme lever les bras en l’air en signe de reddition. Le corps de Michael Brown a été retrouvé, atteint d’au moins six balles tandis que l’examen médical du policier révélait des atteintes au visage.

Quelle a été la sentence prononcée à l’encontre de Darren Wilson ?
 Après trois mois de délibération par un jury populaire composé de neuf Blancs et trois Noirs, le procureur de Saint Louis a prononcé, le 25 novembre dernier, un non-lieu dans l’affaire. Le magistrat a affirmé qu’il « n’y a pas de doute que l’agent Wilson a causé la mort » mais il ajoute que les jurés « ont déterminé qu’il n’y a pas de raison suffisante d’intenter des poursuites contre l’officier Wilson ». L’annonce de la décision du grand jury a immédiatement donné lieu à de violentes échauffourées (manifestations, incendies et pillages) à Ferguson tandis que le gouverneur du Missouri décrétait l’état d’urgence dans la ville et y déployait la garde nationale. Barack Obama et son ministre de la Justice, Eric Holder, sont également intervenus publiquement pour réclamer le calme

Que révèle cette affaire ?
Depuis le 25 novembre, l’escalade de la violence n’a pas cessé. Le mouvement s’est étendu à d’autres villes où des milliers d’américains sont descendus dans la rue, scandant les slogans  « No justice, no peace ! » (Pas de justice, pas de paix) ou encore « Black lifes matter ! » (Les vies noires comptent). Les tensions raciales atteignent avec ce drame leur paroxysme alors que les Etats-Unis ont déjà vécu plusieurs cas similaires. En 2012, la mort de Trayvon Martin, noir de 17 ans, tué par un policier avait déjà suscité l’émoi et l’indignation n’a cessé de monter depuis, contre la discrimination raciale encore bien trop présente outre-Atlantique.

Selon le maire démocrate de New-York, Bill de Blasio, les récentes bavures policières prennent leurs racines dans « des siècles de racisme » parmi les américains. « Le problème est systémique et nous devons parler franchement des dynamiques raciales de notre histoire ». En effet, « les jeunes hommes noirs tués par la police sont 21 fois plus nombreux que les jeunes hommes blancs, selon une étude du site d'investigation ProPublica. »* Par ailleurs, le taux de chômage atteint le double de celui des Blancs : 13,4% contre 6,7% en 2013, selon l'institut Pew Research. Ces écarts n'ont quasiment pas varié en 60 ans, et ce particulièrement dans la ville de Ferguson, foyer de tension depuis le mois d’août. Comme beaucoup d'autres villes américaines du Nord-est et du Midwest industriel, Ferguson est caractérisée par le "white flight" (la fuite des Blancs), explique Pap Ndiaye, professeur d’histoire nord-américaine à Sciences Po. La ville comptait 85% de Blancs en 1980, aujourd'hui, 67% sont Afro-Américains. Pourtant cette mutation démographique ne s’est pas accompagnée d’un changement dans les structures politiques, y compris dans la police. De plus, la crise a creusé l’inégalité, la paupérisation touchant d’abord les tranches basses de la population Noire.

Pour vous rendre compte de cette réalité, voici encore quelques  données significatives: http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/12/05/les-inegalites-raciales-persistent-aux-etats-unis_4535561_4355770.html

Même si ces inégalités ne peuvent pas expliquer toutes les tensions, l’inaction du gouvernement d’Obama n’arrange rien. Autre scandale, une scène filmée par un témoin d’homme noir Eric Garner, accusé de vente de cigarettes de contrebande, immobilisé au sol par un policier alors qu’il prononce ses derniers mots : « I can’t breathe. I can’t breathe. » (Je ne peux pas respirer). On apprenait  encore samedi 6 décembre, la convocation d’un grand jury après la mort de Akai Gurley, un Noir de 28 ans abattu par un policier de New York. Ainsi, la violence de Ferguson révèle bel et bien un malaise qui paralyse de plus en plus la société américaine dans son ensemble.  


*Chiffres extrait de l’article «Noirs contre Blancs : les chiffres de la discrimination aux Etats-Unis », publié sur le Monde. Fr par Catherine Gouëset 

Pauline T. et Nina J.